De nouveaux cargos à propulsion vélique vont bientôt sillonner les mers. L'amorce d'un transport de marchandises décarboné que l'on doit à trois jeunes compagnies françaises, Towt, Zéphyr&Borée et Néoline. Des clients comme Manitou, Michelin, Hennessy ou Cémoi ont déjà réservé leur place à bord.
Installés sur le port du Havre à quelques pas de l’immeuble de la CMA CGM, les locaux de Towt ne reflètent guère, pour l’instant, son activité. Difficile d’imaginer qu’en cette pluvieuse après-midi d’hiver, un vieux gréement à voiles affrété par cette jeune compagnie de transport maritime est en train de traverser l’océan Atlantique en direction de Marie-Galante, au large de la Guadeloupe, les cales chargées de vin bordelais. Il est vrai que son fondateur Guillaume Le Grand et son équipe viennent tout juste d’installer leur QG dans ce port d’envergure internationale. Un déménagement depuis Douarnenez en prévision d’un changement radical dans la vie de l’entreprise : la construction de son premier bateau. Avec ses 1.000 tonnes de fret disponible, ce nouveau cargo de 70 m aura une capacité près de 30 fois supérieure à celles des goélettes et autres bricks affrétés jusque-là.
Pas question pour autant de renoncer à ce qui fait la raison d’être de l’entreprise : l’utilisation des voiles comme mode de propulsion principal. Car pour ce Brestois de 38 ans, ce qui compte avant tout c’est de commencer à décarboner le transport de fret. Ce diplômé de Sciences po Lyon, marié à une Colombienne cofondatrice de l’entreprise, n’est pas le seul à parier sur le développement de cette nouvelle filière de transport maritime propre. Deux autres jeunes compagnies sont sur le pont.
Les étages d'Ariane dans les soutes
Installés sur le port du Havre à quelques pas de l’immeuble de la CMA CGM, les locaux de Towt ne reflètent guère, pour l’instant, son activité. Difficile d’imaginer qu’en cette pluvieuse après-midi d’hiver, un vieux gréement à voiles affrété par cette jeune compagnie de transport maritime est en train de traverser l’océan Atlantique en direction de Marie-Galante, au large de la Guadeloupe, les cales chargées de vin bordelais. Il est vrai que son fondateur Guillaume Le Grand et son équipe viennent tout juste d’installer leur QG dans ce port d’envergure internationale. Un déménagement depuis Douarnenez en prévision d’un changement radical dans la vie de l’entreprise : la construction de son premier bateau. Avec ses 1.000 tonnes de fret disponible, ce nouveau cargo de 70 m aura une capacité près de 30 fois supérieure à celles des goélettes et autres bricks affrétés jusque-là.
Devenir négociant
Tous ces jeunes armateurs n’ont pas pris les mêmes options. Pionnier, Guillaume Le Grand a voulu s’engager dès le début dans l’action en commençant par affréter des vieux gréements. Pour amorcer la pompe, il a pris le risque de devenir négociant de vin, rhum, bière, thé, miel ou café. Towt a ainsi réalisé une cinquantaine de traversées, dont sept transatlantiques, sur dix-huit vieux gréements. « Même si des chargeurs nous ont vite fait confiance, on savait dès le début que ce n’était pas en faisant des ronds dans l’eau avec nos bateaux d’une autre époque qu’on allait changer le visage du transport maritime », explique Guillaume Le Grand. Pour limiter le risque financier, il fait le choix d’un navire de taille modeste dont le coût n’excède pas 12 millions d’euros.
Lancée en 2015, Néoline a visé plus grand avec un bateau propulsé par 4.200 m2 de voiles, dont le budget avoisine les 50 millions d’euros. Quitte à ouvrir son capital à l’armateur nantais Sogestran. « Afin d’éviter la concurrence des porte-conteneurs et leurs tarifs imbattables, nous l’avons en partie conçu pour du fret hors norme », souligne Jean Zanuttini.
Le cas de Zéphyr & Borée, fondée en 2017, est encore différent. Pour remporter l’appel d’offres lancé par Ariane Espace en 2018, l’entreprise a créé une joint-venture avec le groupe Jifmar Offshore Services et s’est associée avec le concepteur des quatre voiles fixes qui équiperont le futur cargo de 121 mètres, l’architecte naval Marc Van Peteghem. Grâce au contrat de service avec le constructeur de fusée européen, qui garantit l’essentiel de l’exploitation, le financement du bateau a été moins problématique. Ce qui n’a pas été le cas des deux autres compagnies.
Engagements fermes
« Des lettres d’intention de chargeurs ne suffisent pas à convaincre les banquiers , témoigne Jean Zanuttini, ils veulent des contrats en bonne et due forme. » Pour Néoline, les choses se sont débloquées l’an dernier. Après Renault en 2018, l’entreprise a réussi à obtenir des engagements fermes des industriels Manitou et Bénéteau, du fabricant de spiritueux Hennessy et il y a quelques semaines de l’équipementier Michelin. À eux cinq, ces clients assurent déjà la quasi-totalité du remplissage sur une route qui va de Saint-Nazaire à Baltimore en passant par Saint-Pierre-et-Miquelon.
Towt a quant à lui réussi à embarquer une quinzaine de chargeurs, dont le chocolatier Cémoi, l’importateur de café Belco, les producteurs de rhum et de champagne Longueteau et Drappier. Déjà largement rempli, le futur cargo assurera des allers-retours entre Le Havre et New York, Abidjan, Pointe-à-Pitre et le Brésil.
Prix compétitifs
Comment ces clients ont-ils été convaincus ? Pour pallier l’éventuelle absence de vent, ces cargos à voiles disposeront aussi de moteurs diesel et électriques qui leur permettent de naviguer à plus de 14 noeuds et de garantir la ponctualité, quelles que soient les conditions météo. « Au final, même en réduisant la vitesse à 11 noeuds, ce qui nous permet d’utiliser à 90 % la propulsion vélique, le temps de transport de porte à porte est presque équivalent à celui d’un transporteur classique », explique Augustin Merle, responsable de la logistique de Manitou.
Avec ces nouveaux navires, les tarifs sont aussi devenus plus compétitifs. « Le prix est un peu plus élevé mais il est garanti, alors qu’avec les cargos classiques, il peut varier du simple au double en fonction des conditions de marché », observe un cadre de Manitou.
Vers la décarbonation
Surtout, il y a la satisfaction de participer à la décarbonation du transport maritime. « Bien que le recours au cargo à voiles de Towt nous oblige à revoir toute notre logistique pour regrouper les expéditions en un seul chargement, nous sommes très impatients de nous lancer dans l’aventure », indique Alexandre Bellangé, PDG de Belco.
Reste donc à lancer la construction des bateaux. Entré en négociation exclusive avec un chantier français, Towt espère démarrer les travaux au début de l’été. Trois « sister-ships » sont prévus à partir de 2023.
En quête du bon chantier
Pour Néoline c’est un peu plus compliqué. Après la défection du consortium nazairien Néopolia, faute d’une subvention de 4 millions demandée à l’Etat français, la compagnie est en quête d’un nouveau chantier. Le temps presse car elle s’est engagée auprès de ses clients pour une mise à l’eau au plus tard mi-2023.
Reste qu’après des années de gestation, cette filière semble désormais prête à larguer les amarres. L’urgence climatique lui ouvre un boulevard marin. Selon Jean Zanuttini, « pas moins de 11 % du fret mondial pourrait basculer sans problème vers des navires à propulsion vélique ».